Association Martiniquaise des Amis des Volcans Verts de la Caraïbe

1) Brève historique  de l’approche biogéographique des Petites Antilles.


Dans une publication consacrée à la biogéographie et l’insularité des Petites Antilles (C.R. Soc. Biogéogr. 67 (1) : 41-59. 1991) J. Lescure et al. concluent leur étude dans les termes suivants : "Les îles des Petites Antilles, situées au centre d’un arc insulaire unique, d’Aruba à Cuba et vraisemblablement toujours isolées, ont été peuplées par dispersion sur ou au dessus de la mer, à partir du continent sud-américain et des Proto-Grandes Antilles  au sens de Coney (1882). Il apparaît qu’une deuxième vague de colonisation plus récente provient du continent sud-américain et monte progressivement vers le nord"… "Souvent, le nombre d’espèces dans les îles des Petites Antilles diminue à mesure qu’on s’éloigne du continent sud-américain ; il est compensé alors par des espèces venant du nord. Les îles du centre n’en sont pas pour autant les plus pauvres car, étant les plus étendues, les plus élevées et les plus diversifiées, elles sont plus riches en espèces, particulièrement en endémiques.  Bien que situées sur un arc insulaire unique, les Petites Antilles ont leur propre histoire géologique et sont délimitées par deux barrières biogéographiques : la ligne de Bond au sud et la ligne d’Anegada au nord. Leur faune et leur flore, résultat de vagues de migrations croisées, sont différentes de celles des Grandes Antilles et des Îles sous le vent par leur composition et leurs origines. Pour toutes ces raisons, les Petites Antilles forment, à notre avis, une entité biogéographique distincte des Grandes Antilles."

Pour expliquer la dispersion d’île en île, deux types de migration sur "bois flottés"  ont été alors envisagées, la migration par "saut de puce" d’une île à l’autre et la migration par "saut de grenouille" qui permettait d’expliquer des répartitions atypiques, comme celle de l’absence initiale de l’Iguana iguana dans les îles du centre (Martinique, Dominique). D’une manière générale les modèles géologiques avancés par la plupart des bio géographes pour expliquer la biodiversité des Petites Antilles se trouvent  résumés dans la rédaction du livret final qui a été présentée en vue de l’inscription des Aires volcaniques et forestières de la Martinique au registre des biens français (pages 58 à 63). 

Les processus évolutifs et de leur relation avec la géomorphologie sont ainsi présentés :

"L’arc des Petites Antilles n’a jamais été relié au continent américain ni aux Grandes Antilles, géologiquement plus anciennes. Les îles elles-mêmes ou leurs ébauches ancestrales sont apparues isolément dans l’Océan Atlantique et sont depuis longtemps séparées les unes des autres …".

Une telle approche des bio géographes s’est mise place à la suite des travaux de nombreux géologues sur la géodynamique de la Caraïbe qui ont conduit à abandonner totalement la théorie  avancée par Spencer en 1902 qui consistait à penser que les Petites Antilles constituaient au Mio-Pliocène un pont continental utilisé comme voie de migration des faunes de mammifères entre les Amériques. Ces îles volcaniques apparues tardivement les unes à côté des autres ne pouvaient en aucune façon permettre de telles migrations.

Il faudra attendre les travaux de Iturralde-Vinent et MacPhee en 1999 pour voir réapparaître l’hypothèse du pont volcanique terrestre qui aurait été émergé durant 1 à 2 Ma au cours de l’Oligocène inférieur entre 35 et 33 Ma. Cette nouvelle hypothèse permet de rendre compte de l’arrivée de vertébrés terrestres du continent sud –américain au niveau des Grandes Antilles via la Ride d’Aves (GAARLANDIA : Great  Antilles Aves Ridge land Bridge).

Une telle approche permet aujourd'hui de concilier l’existence d’un pont terrestre constitué d’îles volcaniques et la théorie de la tectonique des plaques qui avait totalement démoli la théorie avancée par Spencer.

Dix neuf ans après la présentation de cette nouvelle théorie qui s’appuie sur un certain nombre de faits d’observation présentés dans l’ouvrage intitulé : Paleogeography of the Caribbean Region : implications for Cenozoic Biogeography paru au  Bulletin of the American Museum of naturel history, cette approche, à notre connaissance, n’a  pas encore pris sa pleine mesure dans les tentatives d’explication de la colonisation des Petites Antilles par les espèces animales et végétales.

Dans sa publication intitulée ; Caractérisations morphologiques de l’iguane commun, de l’iguane des Petites Antilles et de leur hybrides  paru au Bull. Soc. Herp. Fr (2013) 147 309-346 Michel Breuil explique l’arrivée des Iguanes communs au niveau des Saintes au milieu du XIXe siècle par des importations réalisées lors d’échanges de bagnards avec la Guyane. Une telle explication est beaucoup plus rationnelle que "le saut de grenouille" par dessus la Martinique et la Dominique envisagées par Lescure et al . à partir de Sainte Lucie.

Les récents travaux (2011) d’analyse génétique menés par M. Dewynter, K. Pineau, A.Thonnel sur l’Allobates chalcopis, seul dendrobate de la région des Petites Antilles laissent à penser que cette espèce s’est séparée de ses congénères de l’Amazonie et du Plateau des Guyanes il y a environ 10 Ma. A la suite de ces travaux cette espèce perdait son statut d’espèce invasive pour devenir une espèce endémique de la Martinique à part entière. Alors comment expliquer ce formidable "saut de grenouille" ?

Il  nous faut donc trouver un modèle de colonisation des Petites Antilles qui puisse répondre à l’ensemble de ces observations et interrogations.

Pour le construire nous allons d’abord faire la synthèse de l’ensemble des données actuellement disponibles sur l'histoire géologique des Petites Antilles et sur l'évolution de la géomorphologie de l'est Caraïbe au cours des temps géologiques. Nous allons ensuite tenter d'établir les possibles relations de causes à effet entre évolution géologique  et évolution biologique.